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Trucs et Astuces

Comment Photoshop a changé notre rapport à l’image

Alexandre Carlier

Alexandre Carlier

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Plus qu’un simple logiciel pour retoucher ses photos, Photoshop est devenu en 20 ans un outil indispensable dans la presse et la publicité. Entre les mannequins amaigris et les vedettes rajeunies, le produit phare d’Adobe a transformé notre façon de considérer la photographie, au point d’être entré dans le langage courant. Des professionnels nous expliquent comment et pourquoi.

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La retouche est partout. Difficile de quantifier le pourcentage de photos retouchées, trafiquées, embellies que nos yeux absorbent en une journée. Dans les magazines, la pub, à la télévision ou dans la rue, l’image est omniprésente et elle se doit de présenter le produit à vendre et à vanter sous son meilleur jour, quitte à tricher un peu.

André Gunthert est chercheur en histoire visuelle et éditeur multimédia: «Photoshop a changé notre façon de voir les images. Le logiciel représente une révolution complète de ce médium qu’est la photographie, supposé représenter l’objectivité et la vérité. Il a fait tomber ce qui pour moi était un mythe.»

Pour Elysabeth François, rédactrice en chef adjointe du site internet de Elle.fr «toute image devient suspecte. Dès que l’on voit une belle couverture de magazine, on se dit tous “merci Photoshop”.»

Pire: l’outil s’étant démocratisé, les prodiges qu’il permet de réaliser sont devenus accessibles à tous. Photoshop est entré dans le langage courant au point de devenir un verbe, «Photoshoper» et d’être intégré par un public qui s’est habitué aux photos retouchées.

Pourtant, la pratique n’est pas nouvelle. Déjà au début du siècle dernier, truquer les photos était courant. Il suffit de voir les archives du l’Union Soviétique, ou comment certains opposants et rivaux politiques disparaissent mystérieusement d’une année sur l’autre des photos officielles. La compréhension du pouvoir des images n’a pas attendu Photoshop…

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«Les Grecs manipulaient aussi l’image, ajoute André Gunthert. Si vous regardez la Venus de Milo ou les statues d’Apollon, ce ne sont pas des gens de la rue. Le sculpteur Phidias, par exemple, avait fait appel à cinq modèles différents pour aboutir à la femme parfaite. C’est Photoshop avant Photoshop.» Elysabeth François va dans le même sens: «C’est un classique de l’art. Les peintres, comme les photographes finalement, ont toujours recherché des façons d’améliorer la réalité.»

Des améliorations souhaitées mais pas toujours assumées par les personnes photographiées. «Certaines personnalités de la mode, du cinéma ou de la télévision ne peuvent même plus voir leur photo sans retouches. Elles veulent apparaître comme parfaites», indique Cyril Bruneau, photographe-retoucheur freelance.

ralph-lauren-1La perfection a parfois tendance à déraper, que ce soit sur les magazines ou dans les publicités. Avant l’épisode Demi Moore, Ralph Lauren en a fait l’expérience avec une campagne de pub «malheureuse». Les images ne sont ici pas seulement exagérées, mais presque difficiles à regarder. PhotoshopDisasters, site spécialisé dans ce genre d’énormités, s’en était d’ailleurs délecté, au point d’être menacé d’un procès par la marque.

Directement concernée avec la version en ligne du magazine ELLE, Elysabeth François veut garder foi en la raison: «Je ne suis pas contre l’emploi de Photoshop, à condition de rester dans les limites du raisonnable. Je suis contre un usage abusif, pour des problèmes d’anorexie par exemple, de maigreur extrême.». L’image “idéale” que renvoient les gravures de mode pose souvent problème et se trouve au centre d’un intense débat.

Faut-il réglementer l’utilisation de Photoshop? C’est le point de vue de Valérie Boyer, députée UMP des Bouches-du-Rhône. En septembre 2009, l’élue présente un projet de loi visant à ajouter une mention spéciale sur toutes les photos retouchées. «Ces images peuvent conduire des personnes à croire à des réalités qui très souvent n’existent pas», est-il écrit dans sa proposition de loi, avant d’ajouter vouloir «mettre fin aux représentations erronées de l’image du corps.»

La presse et les magazines de mode en particulier sont vite montés au créneau concernant le «projet de loi Photoshop», car c’est bien l’usage du logiciel qui est visé. «La mode est un secteur sans doute plus exposé que les autres car l’impératif de la beauté y est très présent. Cependant, tous les types de presse utilisent plus ou moins Photoshop», tempère Elysabeth François.

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Référence directe à la photographie de Nicolas Sarkozy dans Paris-Match. A bord de son canot, le Président voit disparaître un bourrelet disgracieux d’un coup de palette graphique. «C’est une simple forme de normalisation, ajoute André Gunthert. Cette photo n’est pas un outil pour reconstituer le réel, mais pour raconter, illustrer un propos. Pour moi, il n’y a que le photojournalisme qui doive respecter l’éthique journalistique, qui est de montrer la réalité. Mais cela ne s’applique pas à des magazines comme Elle. […] J’ai l’impression que la tendance s’inverse. On revoit des poils, des irrégularités dans certaines publicités. En cela, Dove a été un précurseur avec sa campagne qui vantait le naturel. Elle a fonctionné car elle se détachait de l’idéal de la beauté parfaite.»

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Car le marketing est malin. Après la chasse aux défauts, certaines marques font revenir le “naturel” au galop: pour la défense de l’image des “vraies” femmes, et évidemment pour gagner quelques parts de marché supplémentaires. En avril 2009, le magazine ELLE tentait ainsi de revenir à une époque pas si lointaine en publiant les photos de huit stars sans fard, sans maquillage, sans retouches (ici).

Pour Elysabeth François, il ne s’agit cependant ni d’un retour aux sources, ni d’une quelconque tendance. «Je pense que c’était plus un coup éditorial, et pas forcément une volonté de retour à l’authenticité. C’était seulement un bon moyen de montrer que les stars pouvaient être belles au naturel.»

Au fait, à partir de quand peut-on parler de photos “retouchées”?

Cyril Bruneau a sa petite idée sur la question: «le photographe dispose déjà de plein de réglages sur son appareil pour transformer ce qu’il voit en ce qu’il veut. A partir de là, on sort du réel et on peut parler de réalité transformée». Photoshop aurait donc des complices, rarement mentionnés. Des alliés techniques (filtres, éclairage, etc.), mais aussi logiciels comme Lightroom ou Aperture, que Cyril Bruneau manipule également.

«Photoshop reste un outil professionnel, recadre André Gunthert. L’amateur fait très peu appel à la retouche, par paresse ou ignorance. Ce qu’il veut, lui, c’est prendre beaucoup de photos et les prendre vite. Il n’a pas le temps de la retouche. Cela me fait dire que finalement, une image n’est retouchée qu’à partir du moment où elle vaut de l’argent.»

Outil professionnel, révolutionnaire, indispensable, dangereux… Photoshop sait évoluer avec les modes et les tendances, devenant également un symbole des peurs et des contradictions de notre époque: omniprésence de la publicité, défiance envers les médias, globalisation et impact de l’image numérique sur notre quotidien. Photoshop a engendré une sorte de méfiance a priori face à l’information visuelle, rendant notre regard plus critique, plus vigilant. Qui s’en plaindra?

Liens associés

Elle.fr: site officiel du magazine ELLE
andre.gunthert.fr: site d’André Gunthert
valerie-boyer.fr: site officiel de Valérie Boyer
assemblee-nationale.fr: la page de la proposition de loi “relative aux photographies d’images corporelles retouchées”
cyrilbruneau.com: site professionnel de Cyril Bruneau, où vous trouverez quelques tutoriels pour Photoshop
Libération.fr: portrait de la député Valérie Boyer
photoshopdisasters.blogspot.com: site de PhotoshopDisasters, une référence en la matière

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